David Sitbon

The Gracefighter

Démarche artistique

« Il faut revenir aux Anciens pour connaître le vrai. Ils sont plus proches de l'origine. »*

L'image est le langage commun de l'humanité. Via nos réseaux de communication, les images circulent de façon quasi instantanée comme monnaie d'échange ** entre les générations et les différentes classes sociales. Bientôt, les nappes de cuivre de nos super ordinateurs seront remplacées par de la fibre optique. Nos images circuleront à la vitesse de la lumière. L'ambition de l'artiste est de dévoiler un nouveau mythe fondateur sur le règne de l'image : un projet multimédia dont l'histoire est en phase avec la révolution numérique.

En guise d'introduction, l'artiste nous livre, dans ses premiers travaux un retour aux origines de l'image :

L'homme pré-historique observe de près, les propriétés physiques de la nature. Cette capacité le dispose à vivre sa première expérience sensorielle dans un face à face, avec lui-même : Un reflet de son visage apparaît sur la surface d'un plan d'eau. Il permet à notre ancêtre d'observer et de prendre conscience de la première image virtuelle. Pour la première fois, l'homme observe, grâce à ses yeux, la nature de son propre regard : Il est en contact direct avec son âme.

Ce processus représente sa frustration à vouloir posséder l'image virtuelle de son reflet. Il plonge les mains dans l'eau mais l'image disparaît. Pour notre ancêtre, le stade du miroir est franchit. Pour lui, la réponse se situe sous l'eau, et plus précisément dans les profondeurs de la terre. C'est donc dans les grottes que l'être humain fabrique de ses mains les premières images réelles, artificielles. Elles sont ces peintures pariétales et représentent les rituels de chasse.
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La fascination de l'image perçue dans un miroir symbolise donc, le thème du retour à l'origine. Au commencement, toute image n'est qu'un reflet.

Ainsi, David Sitbon entreprend son voyage photographique par une exploration du principe spéculaire : Les premiers clichés de l’artiste représentent des reflets saisis à travers des plans d’eau, des vitres, des miroirs.

L'artiste revendique que la « matière-miroir » est l'archétype suprême de toute forme de représentation: Le miroir est cette surface invisible, support et vecteur originel stimulant toute création d'images par la civilisation humaine, depuis son origine jusqu'à nos jours.

C'est au sein de ces repères structurels, et de leurs représentations, que l'artiste élabore ses recherches en conceptualisant de procédés de prises de vues. L’objectif est de tisser un lien de sens commun entre l'origine de l'image, l'invention de la photographie et toutes leurs applications contemporaines.

Cette démarche expérimentale est principalement en phase avec la révolution numérique parce qu'elle alimente avec résolution ce rapport tout aussi subtil qu'essentiel, qui existe entre la représentation du monde réel et le numérique, qui lui s'inscrit dans le mode virtuel de l'appréhension de la réalité.

L’artiste n’utilise pas l’ordinateur. Sa photographie met en avant, simultanément, une reproduction d'images réelles, et l'enregistrement d'images virtuelles, reflets de la réalité. Les deux types d'images, cette image artificielle (papier) et cette image naturelle, voire mentale (reflet) sont photographiées instantanément pour constituer le cliché final: Elle inclue le virtuel, bien réel. Ici, l'esthétique s'inscrit dans une dualité évidente, fidèle à la vision globalisée de notre monde, et de nos rêves stéréotypés.

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L'image n'est pas la chose qu'elle représente, mais elle fait l'illusion. Cette illusion est à l'image de la mécanique de transmission virtuelle réalisée par nos machines-ordinateurs.

Cet apparat est sans cesse animé, nourrit parce que la société nous a plongée, malgré nous, dans la logique du clonage, de la répétition et de l'imitation. Tous les gestes dépersonnalisés, voire automatisés par la culture banalisée, maîtrisent nos destins parce qu'ils sont judicieusement calqués sur les principes de la grande consommation, maîtresse de nos vies avant l'avènement de l'ordinateur. Nous voyons sans cesse autour de nous les images d'objets que nous aimerions posséder, de situations que nous souhaiterions vivre, ou non. Ces images reflètent comme dans un miroir nos désirs, nos peurs. Dès lors, les fabriquent-elles?

Le miroir est comme la clef des correspondances entre le monde extérieur et l'âme humaine, ou, comme les symbolistes aiment à dire, entre le macrocosme et le microcosme. *** Son esthétique symbolise, reflète et articule cet écho multiple qu'offre la binarité de la révolution numérique. Ce numérique, qui rappelons-le, est à la fois, le support et l'outil des marchés économiques. La plastique de l'artiste fonctionne sur ce mode binaire, fidèle aux propriétés du miroir. Elle joue son rôle d'imaginaire, de double ou de reflet du réel, contribuant ainsi à maintenir l'opposition binaire et la distinction des espaces **** et des volontés.




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L’artiste invente une nouvelle écriture de l’image. Ce cliché que saisit l’artiste est le fruit d’un démembrement organisé de la structure des composants naturels de l’image. Elle englobe le concept de sa représentation dans un rapport avec l’histoire de la photographie.

Cette substitution des opposés sur leur contraire, cette mécanique du miroir opérée par les inverses sur eux-mêmes, représente une double métaphore des premiers procédés de négatifs sur papier et des premières gravures héliographiques inventées par Niépce.

L'exercice de la technique photographique moderne est l’évolutif procédé de "ce miroir qui se souvient" : Le daguerréotype. Dès lors, le processus créatif de l’artiste prend ses racines dans cette « substance intelligente » propre aux matériaux et aux techniques d'écriture de la lumière : « La Photographie ».

* E.D. Analyse de l’invention de l’écriture. ** Fonction de l’image dans l’appareil psychique, 2004. Céline Masson. *** Le thème du miroir dans le symbolisme français. Guy Michaud. **** Les Jeux philosophiques de la trilogie Matrix, 2011. Hugo Clémot. Image : David Sitbon, « Indian Runner », New-York, 2010.